Les Almoravides (1042-1146)

La période entre la décadence des Idrissides et l’accession des Almoravides est très mal connue même s’il est certain qu’elle fut très agitée tout en maintenant une prospérité économique reposant principalement sur le commerce de l’or et des esclaves en provenance des régions sub-sahariennes. C’est d’un pays riche et paisible que les Almoravides établiront le centre de leur empire.

Au moment où les Almoravides commencent à surgir du désert comme véritable puissance, les Idrissides ont disparu depuis longtemps sauf de la région de Tanger où leur autorité peu affirmée s’étend sur une zone restreinte sous le contrôle effectif d’Andalous. Le Maroc est alors politiquement divisé en importantes tribus ou confédérations berbères, véritables principautés aux contours changeants et plus ou moins indépendantes. Les Etats les plus puissants sont les principautés Zénètes. L’histoire des Almoravides est liée à l’islamisation des Sanhaja, coalition d’importantes tribus berbères du Sahara occidental (les Lemtouna, les Messouffa et les Goddala -ou Guezzala-) qui contrôlait les routes commerciales entre l’Afrique du Nord et les régions subsahariennes. Pasteurs et cavaliers, ils étaient aussi de redoutables guerriers formés à la rude école du désert et vivaient également de razzias qu’ils opéraient chez les sédentaires Noirs installés plus au sud.

Dans la première moitié du XIe siècle, pour renforcer leur conversion à l’Islam restée superficielle, on envoya aux Sanhaja, à la demande de l’émir Lemtouna Yahya ben Ibrahim, un intellectuel berbère de l’extrême sud marocain de l’école malékite nommé Abd Allah ben Yassine. Ce dernier, ainsi que deux chefs lemtouna et sept notables goddala décidèrent de fonder une petite communauté religieuse ou ribat installée dans les îles Tidra sur la côte mauritanienne. Ils s’efforcent dès lors de mener une vie conforme aux règles du malékisme. L’existence ascétique menée par Abd Allah ben Yassine et ses fidèles leur valut rapidement un grand prestige attirant de nombreux disciples. Le guide spirituel va bientôt se transformer en chef de guerre. Ce ribat (forteresse) constitua rapidement un centre de diffusion de la doctrine. Il formait les « guerriers de la foi » ou « morabitoun », mot qui a donné naissance au terme espagnol almoravides. Animés d’une foi intense, ils entreprirent de soumettre au rigorisme religieux, c’est-à-dire à l’orthodoxie sunnite, d’abord les tribus sahariennes voisines, puis tout l’espace qui s’étendait du Soudan au Sud du Maroc enfin le Maroc tout entier.

Les Almoravides en cherchant tout d’abord à « redresser » l’Islam se présentent en unificateurs de la communauté musulmane plus qu’en conquérants et pourtant ils gagnèrent rapidement une réputation justifiée d’invincibilité. En effet, il fallut aux Morabitoun quatorze ans (de 1042 à 1056) pour conquérir le Sahara occidental et le Sud du Maroc. La première intervention des Almoravides se fait dans le Sud marocain en 1053 à la demande des Sanhaja de Sijilmassa en conflit avec les Zénètes Maghraoua.

C’est sous le commandement de Youssef ben Tachfin que les terres au nord de l’Atlas et le Maroc dans son intégralité ainsi que l’Espagne seront sous l’emprise des Almoravides. Par leur intervention en Espagne à la demande des « Reyes de Taifas », ces Berbères du Sahara, entrent en contact avec une brillante civilisation, raffinée, héritière de la civilisation andalouse de Cordoue qui les marquera profondément. C’est à partir du règne des Almoravides que le raffinement et la splendeur de la civilisation andalouse, en particulier ses arts et son architecture, trouveront un nouveau rayonnement en Afrique du Nord et surtout au Maroc.

Youssef ben Tachfin (1061-1107)

L’art déco

Les Almoravides formaient une communauté qui s’agrandissait rapidement. Un des chefs, Youssef ben Tachfin, fonda la dynastie qui devait regrouper, sous son égide, la quasi-totalité de l’Occident musulman (Ifriqiya mise à part). Avec un effectif atteignant probablement 20 000 hommes, il s’apprête à conquérir le Maroc disposant d’une force militaire suffisante pour lui permettre de subjuguer tout le Maghreb occidental. C’est à partir d’une importante base d’opérations installée vers 1060 sur le cours supérieur de l’oued Tensift, au débouché des cols de l’Atlas, à l’emplacement où devait être fondée Marrakech en 1062, que Youssef ben Tachfin réorganise son armée.

En 1069, ils achevèrent la conquête de Fès après un véritable carnage. En 1077, la ville de Tanger est prise, en 1079 Tlemcen, en 1081 Oujda et en 1082, c’est au tour de Ténès, d’Oran et d’Alger et en 1084, Ceuta tombe. Même le Rif fut finalement soumis, mais les Masmoudas de l’Atlas ne le furent jamais complètement et c’est de ces régions que partira, moins d’un siècle plus tard, l’action almohade. Au cours du troisième quart du XIe siècle et à l’issue de plus de vingt ans de combat, Youssef et les siens, les « Voilés » ou moulathimoun, contrôlaient l’Afrique du Nord, de l’Atlantique jusqu’à Alger et allaient passer en Espagne.

L’étendue des foudroyantes conquêtes de ses moines-guerriers venus du Sud et l’apparition de cet Empire marocain furent rapidement remarquées par les princes musulmans d’Espagne ou rois de Taifas qui n’étaient pas en mesure de contenir les avancées de la Reconquista se développant au nord de la péninsule. La menace grandissante et imminente de la poussée chrétienne était dirigée par le roi de Castille, Alphonse VI. Souverain chrétien le plus puissant d’Espagne, Alphonse VI ira jusqu’à s’attribuer le titre de « Adefonsus Hispania imperator » en 1077. Les agressions chrétiennes culminèrent avec la capitulation de Tolède en mai 1085 suite à un siège qui avait duré tout l’hiver. Cette chute eut un immense retentissement dans toute la Chrétienté mais également dans les pays musulmans, Tolède étant musulmane depuis plus de quatre cents ans. Dans la même année, Alphonse VI envoie un de ses capitaines castillans, Alvar Fanez de Minaya à Séville annoncer à Motamid, roi poète, qu’il va désormais gouverner sous sa surveillance. Ce prince musulman se résigne alors à s’en remettre aux Almoravides, sollicitant leur aide et prononçant la célèbre formule selon laquelle il préférait « être chamelier au Maghreb que porcher en Castille … ».

En octobre 1086, la bataille de Zallaga (ou Sagrajas, sur les rives du rio Guerrrero) sauva l’Espagne musulmane des armées de Alphonse VI et les Almoravides prirent le contrôle de l’Andalousie. Cependant, cette annexion ne constitua pas immédiatement une emprise majeure de l’Empire almoravide sur la péninsule, et diverses principautés, comme la Valence de Rodriguez Diaz, le célèbre Cid, feudataire chrétien qui gouvernait une principauté bi-confessionnelle, continuèrent à exister. Mais au début du XIIe siècle, toute la partie musulmane de la péninsule était sous la protection des Almoravides. Le règne de Youssef ben Tachfin marque l’apogée de la puissance almoravide en Espagne.

Ali ben Youssef (1107-1143)

A sa mort en septembre 1106, Youssef ben Tachfin lègue un immense et riche empire à son fils Ali ben Youssef âgé alors de vingt trois ans et gouverneur de l’Andalousie. Confiné dans la prière et l’étude, il laisse se développer autour de lui intrigues et convoitises. Il aura à affronter de nombreuses difficultés provenant de l’intervention au Maroc des Almohades et des affaires d’Espagne où reprend la Reconquête chrétienne et où grandit le mécontentement andalou face au rigorisme religieux et à la présence et l’autorité brutale des Almoravides. Aucune entente réelle n’avait régnée entre princes d’Al Andalous et Almoravides. Le danger représenté par les Amohades naquit au Maroc sous le règne d’Ali. En 1123 s’installait au cœur du Haut-Atlas, à Tinmel, le mahdi Ibn Toumert dont l’objectif était d’anéantir les Almoravides qui à ses yeux n’étaient que des hérétiques et des débauchés. Marrakech connaît alors de nombreuses attaques et incursions.

Le règne d’Ali ben Youssef connut la réapparition en Espagne des moulouk at-tawaïf ou rois de Taifas, un déclin rapide au Maghreb, la destruction par le feu des œuvres du grand théologien oriental Al Ghazali et paradoxalement l’enracinement au Maghreb de la civilisation hispano-mauresque. Ali ben Youssef, ami des arts et grand bâtisseur, fit de sa capitale Marrakech une réplique des grandes cités andalouses. Pendant son règne furent également ériger d’imposants monuments d’une richesse décorative jusqu’alors inconnue dans l’Occident musulman. D’après les récits de l’historien al Marrakchi, l’entourage intellectuel du souverain almoravide à la cour de Marrakech était comparable à celui des Abbassides au début de leur règne. De nombreux savants, philosophes et poètes rejoignent la jeune capitale, mais lorsque le rigorisme religieux officiel des Almoravides sévit, ceux-ci préfèrent rejoindre Fès où la souplesse voir l’absence de rigorisme religieux leur permet de pleinement s’épanouir.

A la mort d’Ali en 1143, son fils Tachfin dû affronter les Almohades qui occupaient maintenant la majeure partie du Maroc tandis qu’en Espagne se révoltaient les musulmans d’Andalousie. Au cours de luttes entre ces derniers et les Almoravides un des chefs séditieux réclama l’intervention des Almohades ce qui provoqua la chute décisive de la puissance Almoravide en Espagne comme au Maghreb. En effet, seulement cinq ans après le décès d’Ali, le Maroc se trouve désormais sous l’autorité almohade. Déchirée et sans force devant l’offensive chrétienne, l’Espagne se retrouvait en 1145 dans la même situation qu’au moment de l’intervention de Youssef ben Tachfin.

ŒUVRE ALMORAVIDE

Avec les Almoravides, le Maroc commence à affirmer sa prépondérance et, enrichi d’influences nouvelles, l’art se développe et les oulémas ou juristes, malgré les apparences, donnent au pays une unité religieuse qui se maintiendra. L’habitude d’obéir à un même pouvoir politique au Maroc fut également instaurée par les Almoravides, facilitant ainsi la tâche à leurs successeurs. Ce sont les Almohades qui profiteront des efforts, non négligeables mais inefficaces, des Almoravides.

Prônant un profond rigorisme religieux, Youssef ben Tachfin ordonna à Fès la multiplication d’oratoires dans chaque rue d’après un grand nombre de récits historiques. Bien que peu de constructions almoravides subsistent, l’influence de l’architecture andalouse dans certains éléments architecturaux est très nette. Parmi ces constructions, se trouvent les vestiges de palais au nord du minaret de la Koutoubia à Marrakech mis à jour par des fouilles et les palais de Tagrart (Tlemcen). A ceux-ci s’ajoutent les agrandissements et fondations de mosquées comme la Grande Mosquée d’Alger et celle de Tlemcen.

Les Almoravides entreprirent également la construction de forteresses afin de surveiller les montagnes comme celle d’Amergou (Rif), celle du Tasghimout (Atlas) et de nombreuses autres comme à Massa. La ville de Meknès est fondée et dotée de remparts par les Almoravides. De plus, la réalisation de nombreux travaux d’utilité publique, surtout à Marrakech et Fès, fait des Almoravides de véritables architectes, urbanistes et hydrauliciens. Il s’agit principalement de l’aménagement de réseaux de canalisations pour irriguer les jardins de Fès, de la construction d’un pont sur l’oued Tensift près de Marrakech et de la construction de fontaines, moulins, bains et hôtelleries ainsi que de l’organisation des marchés. Ali ben Youssef dressa les remparts de l’enceinte de sa capitale, Marrakech. Il fut également à la tête de la création d’un système très sophistiqué d’adduction des eaux ou khettara permettant déjà au XIIe siècle d’alimenter en eau la ville entière et toute la région avoisinante.

A partir du début du XIIe siècle, le degré de raffinement atteint par les Almoravides est visible dans la Qoubba ou coupole de Marrakech, où s’exerce toute la virtuosité des gypso-plastes et s’entremêlent harmonieusement épigraphie, géométrie complexe et flore.
L’existence de la corporation des faïenciers et de l’industrie de la céramique à Fès semble remonter au moins à la période Almoravide comme le suggère le nom de Bab al-Fekharin al-Qoudama ou Porte des anciens faïenciers donné à l’une des portes almoravides de la mosquée al-Qaraouiyin.

Grâce à la richesse de l’empire almoravide et à la puissance du pouvoir, l’art marocain s’épanouit pleinement et n’est plus tributaire des réalisations extérieures même si l’influence andalouse est toujours perceptible dans les formes architectoniques, en particulier les arcs (lobés, en plein cintre outrepassé…) et les motifs d’entrelacs losangés. Cependant, les répertoires ornementaux se voient désormais enrichis d’une multitude de variantes élaborées par les artistes et artisans.