Le mouvement almohade se déclenche en 1125, sous le règne du souverain almoravide Ali ben Youssef, avec l’installation de Ibn Toumert à Tinmel, dans le Haut-Atlas. Il prône une rigoureuse réforme des mœurs et accorde une place toute particulière au thème de l’unicité divine, véritable base de sa doctrine. La condamnation des pratiques malékites constitue une autre composante de la doctrine qui porte directement préjudice aux Almoravides.
C’est sur ces bases que repose la communauté religieuse, puis politique, fondée par Ibn Toumert des « Mowahidoun », des Unitaires, dont nous avons fait les Almohades. Intellectuellement, ils représentaient une protestation contre le légalisme conservateur du malékisme qui prévalait en Afrique du Nord et contre le goût de l’opulence que les Almoravides avaient peu à peu adopté. Les Almohades se groupèrent sous la bannière d’un puritanisme analogue à celui des Almoravides au temps de leur conquête et entreprirent alors une guerre sainte contre ces derniers. Une fois entré en révolte ouverte contre les Almoravides, Ibn Toumert prend alors le titre de Mahdi (homme annoncé par Dieu).
Abd El Moumen : Fondateur de l’Empire almohade et premier calife du Maroc
En septembre 1130, le Mahdi meurt sans avoir vu triompher ses aspirations. Son successeur Abd el Moumen ben Ali, le Berbère Zénète de Tlemcen, à qui sera prêté serment, prend le titre de calife en 1133 après avoir passé trois ans à concentrer ses efforts surtout sur le Sud marocain. Ce souverain inaugure l’ère du califat maghrébin en prenant le titre prestigieux d’Amir al-Mouminin, Prince des croyants. Dès lors, ce titre sera repris par tous les monarques du Maroc. Il est également le fondateur de l’Empire almohade.
Après avoir soumis le Sud, les Almohades se tournèrent vers le Nord, s’emparant de Taza et de Tétouan. La mort d’Ali ben Youssef en 1143 entraîna diverses dissidences qui profitèrent à Abd el Moumen. De nouvelles tribus vinrent se joindre aux Masmoudas renforçant l’alliance réalisée autour des Almohades qui étendirent bientôt leur influence jusqu’aux communautés Zénètes du Maghreb central. La conquête des villes principales du Maroc atteindra son apogée avec la prise de Fès en 1146 et celle de Marrakech en 1147. Maître de la capitale almoravide, le calife almohade décida d’édifier sur les ruines du Dar al Hajar, le palais de ses ennemis vaicus, une grande mosquée, la célèbre Koutoubiya.
Après la conquête du Maroc, Abd el Moumen entreprit celle de toute l’Afrique du Nord qui, vers 1160 sera désormais unifiée sous la domination marocaine et s’étendra vers l’Est jusqu’à Tripoli. Il fallait maintenant, pour récupérer l’héritage des Almoravides, porter victorieusement en Espagne les armes de l’Islam. Déjà en 1146, alors que Marrakech n’était pas encore tombée, Jerez et Cadix se livrent aux nouveaux maîtres du Maroc. Dès 1147, Abd el Moumen envoie en Espagne un corps expéditionnaire qui prend Niebla, Beja, Silves, Badajoz et Séville puis Cordoue, Carmona et Grenade. Les Almohades contrôlent alors tout le sud de la péninsule, mais pas l’Espagne orientale. En 1157, les Almohades reprennent Almeria aux Chrétiens et vers 1160, Abd el Moumen fait fortifier Gibraltar.
Pour les arts et la culture, la conquête de l’Espagne musulmane par les Almohades allait renforcer l’apport d’influences hispaniques au Maghreb, processus déjà déclenché par les Almoravides. Abd al-Moumen meurt en 1163 à Salé d’où son corps est transporté et inhumé à Tinmel, auprès de celui du Mahdi.
Le règne d’Abou Yacoub Youssef (1163-1184)
Le règne du second calife, Abou Yacoub Youssef, fils du Zénète Abd el Moumen et d’une Masmouda issue d’une lignée de notables de Tinmel, coïncide avec l’apogée de la dynastie almohade. Pour la première fois depuis l’époque de la paix romaine, les villes d’Afrique du Nord connaissaient prospérité et stabilité grâce à la paix marocaine. Dans la péninsule ibérique, Abou Yacoub Youssef, contrôlant Al-Andalous, entreprit en vain de conquérir la partie orientale de l’Espagne musulmane. En effet, suite aux offensives menées par le roi de Castille Alphonse VIII le Noble contre Cordoue, Malaga, Grenade et Ronda, Abou Yacoub Youssef décida d’accentuer ses efforts après avoir repris Evora au même assaillant en 1181. C’est au cours du siège de la ville portugaise de Santarem en 1184 que le calife sera mortellement blessé. Il fut enterré à Tinmel près de son père et d’ibn Toumert.
Esprit curieux et ouvert, Abou Yacoub Youssef s’entourait de lettrés et célèbres philosophes comme Ibn Taifal et Ibn Rochd (Averroès) qui vécurent à sa cour. Ses séjours à Séville lui avaient fait apprécier les plaisirs et les raffinements qui faisaient le charme de la vie de cour sur les bords du Guadalquivir et c’est à Al-Andalous qu’il donna la priorité tout au long de son règne.
Le règne d’Abou Youssef Yacoub al-Mansour (1184-1199)
Abou Youssef Yacoub al-Mansour était le fils aîné et l’héritier désigné d’Abou Yacoub Youssef. Le nouveau souverain dût très rapidement faire face à la pression chrétienne grandissante en Espagne. C’est suite à la grande victoire d’Alarcos (Al Araq) le 18 juillet 1195, qu’Abou Youssef prit le titre glorieux d’al-Mansour (le Victorieux). En réalité, tout comme la victoire remportée à Zallaca par les Almoravides, celle d’Alarcos ne faisait que contenir une poussée chrétienne de plus en plus importante.. Yacoub al-Mansour mena de nombreuses expéditions en Espagne mais également en Afrique du Nord où un mouvement de rébellion grandissait. Lorsque le calife meurt à Marrakech en 1199, la situation est loin d’être définitivement clarifiée aussi bien en Espagne qu’au Maghreb.
Yacoub al-Mansour a marqué la civilisation de son époque par la cour brillante qui l’entourait à Marrakech où affluaient savants, philosophes, poètes et artisans, et par l’élaboration de projets architecturaux grandioses. En effet, il laissa derrière lui une imposante œuvre architecturale. Son règne qui coïncide avec l’apogée de la dynastie, voit s’élever à Rabat, la mosquée de Hassan dont le minaret inachevé exprime le sens de la grandeur almohade. A cette plastique monumentale répond un décor large et aéré se prêtant à l’austérité imposée par le puritanisme des réformateurs. La mosquée de Tinmel et la Koutoubiya de Marrakech présentent aussi un certain monumental et une ornementation élégante et sobre. Les portes imposantes au décor majestueux et sobre et aux lignes épurées des grandes villes comme Rabat et Marrakech reflètent également la grandeur almohade.
>Le règne de An Nassir (1199-1213)
Fils d’Abou Youssef Yacoub, Mohammed An Nassir eut beaucoup de difficulté à maîtriser Ifriqiya où seules les grandes villes demeuraient soumises à son autorité. Vers 1206, et après de nombreuses expéditions, l’Afrique du Nord parut ainsi pacifiée et la paix marocaine y règne au cours de la première décennie du XIIIe siècle. Les îles Baléares furent conquises en 1202. Le règne d’An Nasir semblait donc continuer celui de son glorieux prédécesseur. Il ne lui manquait qu’à remporter en Espagne une victoire décisive. Une victoire qui serait la suite logique du désastre infligé aux Chrétiens à Alarcos en 1195. Le destin en décida autrement.
La bataille de Las Navas de Tolosa (16 juillet 1212) où, pour une fois, tous les princes chrétiens de la péninsule formaient l’union sacrée contre le péril commun, fut décisive pour le déclin des Almohades. Un grand massacre dans les rangs marocains eut lieu et le désastre fut considérable. An Nassir rentra à Marrakech. Les Chrétiens n’exploitèrent pas leur victoire mais le souverain marocain évaluait bien l’ampleur de cet irréparable échec. Il mourut l’année suivante, probablement empoisonné. Il laissa le pouvoir à son fils al-Mostansir qui, tout comme ses successeurs, fut incapable de redresser une situation difficile devenue très complexe.
Le déclin de l’empire, entamé par la défaite de Las Navas, va se prolonger jusqu’en 1269 avec le développement de nouveaux royaumes de Taifas en Espagne favorisant les entreprises chrétiennes et l’apparition de la menace représentée par la tribu Zénète des Beni Merine qui donnera bientôt au pays une nouvelle dynastie. Depuis 1228, l’Espagne ainsi que l’Ifriqiya échappaient à l’autorité marocaine.
ŒUVRE ALMOHADE
Victorieux des Almoravides du désert, les Almohades devaient à leur tour céder la place à une nouvelle dynastie. Ils avaient donné au Maroc médiéval sa plus grande extension ainsi que l’éclat d’une civilisation née de la symbiose étroite réalisée en l’espace d’un peu plus d’un siècle par la vitalité des peuples berbères et les raffinements de la culture andalouse.
La période almohade représente l’age d’or de la civilisation islamique du Maghreb. En effet, jamais auparavant, l’économie, les arts et les lettres, n’avaient atteint un tel degré de prospérité.
Economiquement, l’empire constitue, encore plus que sous les Almoravides, l’intermédiaire obligé entre l’Europe occidentale et l’Afrique subsaharienne. Le dinar d’or almohade, par exemple, comme son prédécesseur le dinar d’or almoravide, était pris comme référence et comme monnaie de change sur les marchés d’Europe où il était très prisé.
Concernant les arts et les lettres, la volonté des souverains d’exercer un véritable mécénat artistique et intellectuel fut prédominante. Un grand nombre de savants, philosophes, poètes et artisans furent attirés à la cour et protégés comme Ibn Tofail, Ibn Rochd (Averroès) ou encore Maimonide. Le mécénat almohade joua un rôle déterminant dans le développement de la pensée et de la création artistique.
La mosquée de Hassan, la Koutoubiya de Marrakech et la Giralda de Séville, véritables chefs-d’œuvre et reflet de la grandeur almohade, comptent parmi les réalisations les plus grandioses de l’art islamique. Il en est de même pour les portes monumentales des grandes villes au décor majestueux comme Bab Agnaou à Marrakech. Cette ville sous les Almohades devint l’une des plus grandes capitales impériales du monde. Elle fut non seulement la capitale politique de l’Occident musulman mais encore son principal centre intellectuel.
Située au cœur du Haut-Atlas, Tinmel, berceau de la dynastie, fit également l’objet de vastes projets architecturaux. Elle fut dotée d’une splendide mosquée dont les vestiges traduisent la magnificence d’autrefois.