Le règne de Idriss Ier (788-791)
Séjournant peu de temps à Tanger, Idriss Ier se rend dans la région du Zerhoun où vivaient les Berbères Awarba. Ce choix s’avéra très judicieux puisque cette tribu était le cœur d’une importante coalition berbère hostile aux Abbassides dispersée sur tout le nord du Maroc actuel. Idriss Ier fut noblement reçu à Oualili (Volubilis) par le chef de cette tribu, Ishaq ben Mohammed, qui lui confia d’importantes responsabilités politiques et religieuses. Peu de temps après, il fut proclamé Imam et cette coalition berbère lui prêta serment. Ayant soumis une partie du pays, son royaume s’étendait sur le nord du Maroc englobant la région de Taza, les plaines atlantiques et allant jusqu’à Tadla dans le Sud. Idriss Ier meurt en 791 empoisonné sur ordre du calife Haroun al Rachid inquiet de ses succès.
Le règne de Idriss II (803-829)
Lorsque Idriss Ier meurt, son épouse berbère Kenza est enceinte. Afin d’assurer la transition politique, deux régents, tous deux arabes, se succèdent. En 803 Idriss ibn Idriss, fils d’Idriss Ier, succède à son père. Il devenait Idriss II à onze ans. A la différence de son père, Idriss II entama une politique favorisant les Arabes. Ainsi, conservant unie la coalition berbère, Idriss II ajouta cependant un début d’administration, un makhzen composé exclusivement d’Arabes. Il créa également une garde personnelle formée uniquement d’Arabes venus d’Ifriqiya et d’Espagne et nomma aussi un vizir arabe. Le mécontentement grandissant des Berbères face à cette injustice déclencha une véritable crise qui ateindra son paroxysme avec l’assassinat, en 808, sur ordre de Idriss II, de celui qui fut le protecteur de son père, Ishaq ben Mohammed. Idriss II quitte alors Oualili et fonde sa nouvelle capitale, Fès.
La vingtaine d’années de règne d’Idriss II se caractérise, non pas par la conquête de nouvelles terres mais plutôt par le renforcement de l’autorité idrisside sur les régions déjà contrôlées. Il a en quelque sorte donné son premier gouvernement à la coalition territoriale constituée autour de sa personne. Fès, la nouvelle capitale, deviendra le coeur de l’Etat marocain. Idriss II meurt en 829 probablement empoisonné comme le fut son père.
Les successeurs de Idriss II(829-974)
Mohammed, l’aîné des dix fils d’Idriss II, succède à son père mais délègue une partie de ses pouvoirs à certains de ses frères qui se voient confier l’administration de provinces. En 848, Yahya, fils de Mohammed, succède à son père. Avec son règne, débute la décadence idrisside. Il laisse en effet ses oncles gouverner à leur guise les provinces dont l’administration leur avait été confiée par son père. C’est cependant sous son règne que de nombreux monuments semblent avoir été construits. Mourant sans héritier, le successeur désigné de Yahya est l’aîné des Idrissides gouvernant le Rif. Cette désignation provoque de violents affrontements entre princes Idrissides, dégénérant en guerres familiales, puis civiles.
En plus de ces troubles internes, les Idrissides se retrouvent entre les Fatimides et les Omeyyades de Cordoue qui s’opposent et pour lesquels le Maroc constitue un enjeu important de part sa position géographique, sa richesse économique et le contrôle des routes du commerce de l’or. Fès tombe au pouvoir d’une armée berbère obéissant aux Fatimides en 920 et en 974, les derniers princes idrissides de la région de Tanger sont vaincus par des troupes andalouses venues d’Espagne. Il semblerait qu’au cours du Xème siècle, les territoires sous l’autorité des Idrissides diminuent, alors que les Zénètes fondent de nombreux Etats et que la principauté de Sijilmassa dans le Sud et celle de Nakour dans le Nord se maintiennent. Leur histoire reste cependant très obscure même s’il est certain que leur dénominateur commun est l’Islam.
ŒUVRE IDRISSIDE
En plus d’avoir fondé le premier Etat marocain et instauré la tradition chérifienne au Maroc, les Idrissides, et surtout les deux premiers souverains Idriss Ier et Idriss II, ont eu une grande influence religieuse. Ils islamisèrent la majeure partie de la population et luttèrent contre le kharijisme. Ils ont instauré les prémices des fondations politiques et religieuses du Maroc.
La période idrisside se caractérise également par la fondation de villes, d’importants centres urbains et économiques qui ont malheureusement tous disparus à l’exception de la ville de Fès. La création de pareils centres urbains permettait et favorisait, sans nul doute, le rayonnement de la civilisation islamique.
L’œuvre maîtresse de la dynastie des Idrissides est incontestablement Fès et tout ce qu’elle symbolise pour l’Islam marocain. A l’origine capitale politique de l’Etat idrisside, Fès se hisse rapidement au rang de métropole économique, spirituelle et religieuse. En accueillant un grand nombre d’émigrés de Cordoue et de Kairouan, elle se développe, devenant très rapidement un important centre de théologie, sciences, lettres et arts. Il résulte également de l’arrivée de ces émigrés l’épanouissement voire la synthèse d’une double tradition artistique. De plus, le caractère cosmopolite de la population de Fès fut le stimulus indéniable d’une riche production artistique et culturelle. Les Fatimides et les Omeyyades de Cordoue iront jusqu’à se disputer la possession de Fès, important foyer commercial et culturel disposant d’une excellente situation géographique, carrefour d’axes économiquement essentiels.
La prospérité de la dynastie repose quasi-exclusivement sur le commerce de l’or et des esclaves et le contrôle de ses routes. Elle est attestée par la découverte d’un nombre important de monnaies, des dirhams en argent, qui sembleraient provenir d’au moins quinze ateliers différents. Il est regrettable de ne pouvoir évaluer et apprécier à sa juste valeur la richesse artistique et culturelle idrisside qu’à travers les multiples récits d’historiens, géographes et chroniqueurs arabes médiévaux. En effet, seule une infime partie des premières grandes réalisations nous est parvenue. Parmi celles-ci, la double réalisations à Fès, au milieu du IXe siècle et à trois ans d’intervalle, des mosquées al-Qaraouiyin et des Andalous présentant toutes deux certaines caractéristiques de l’art idrisside, dans le style épigraphique et le travail des boiseries architecturales. Comme leurs noms l’indiquent, ces deux mosquées sont l’œuvre d’immigrants de Kairouan et de Cordoue. Ces deux constructions marquent les véritables débuts de l’art islamique au Maroc.
Un bois à épigraphe idrisside de la mosquée al-Qaraouiyin, daté de 877/236H, annonce l’art marocain même s’il existe deux inscriptions en écritures cursives sur bois antérieures à ces mosquées. La première mentionne la fondation d’une mosquée en 793-794/177H par l’Imam Daoud ibn Idriss et ne porte de décor sculpté ni peint. La seconde, datée de 881/268H porte des traces de pigments. Ceux-ci constituent la preuve concrète et incontestable de l’existence, très tôt à Fès, d’au moins un atelier de sculpture et de peinture sur bois.
La période de décadence des Idrissides et de luttes, par gouverneurs interposés, entre Omeyyades d’Espagne et Fatimides fut paradoxalement positive dans le domaine des réalisations artistiques. En effet, suite à la conquête de Fès en 920 par le général fatimide, Masala ben Habous, la mosquée al-Qaraouiyin et celle des Andalous font l’objet d’importants travaux devenant mosquées-cathédrales. Lorsque l’autorité omeyyade supplante celle fatimide en 956, elle entreprend la construction du minaret de la mosquée al-Qaraouiyin dont le plan rappelle celui des tours de Cordoue.
Quant au mobilier liturgique, le minbar (chaire) de la mosquée des Andalous datable à la fin du Xe siècle, témoigne de la maîtrise des tourneurs sur bois, des sculpteurs et peintres de l’époque. Dans cette œuvre unique s’opère la synthèse des apports andalous et orientaux. Les réalisations artistiques du Xe siècle, d’après les témoignages d’éléments architecturaux et de mobilier liturgique, révèlent l’apparition du premier art islamique marocain.