L’entrée des Musulmans en Afrique du Nord a été, de façon générale, beaucoup plus difficile et lente qu’ailleurs. En effet, la conquête de l’Afrique du Nord par les Arabes nécessita, au total, huit campagnes de 649 à 715. Ce n’est qu’à la cinquième campagne (681-683) que le Maroc fut concerné directement par l’offensive arabe. Cependant, le pays ne sera définitivement islamisé qu’en 708. Plus d’un demi-siècle sépare les premiers mouvements arabes en Afrique du Nord et le moment où les Berbères du Maroc sont associés à la conquête de l’Espagne.
Uqba ben Nafi el Fihry, gouverneur de l’Ifriqiya pour le compte du Califat omeyyade, commandant des armées des troisième et cinquième campagnes et fondateur de la ville de Kairouan en Tunisie en 669, fut à la tête de l’offensive concernant le Maroc. Il traversa l’Afrique du Nord et ébranla sérieusement la puissance de Byzance dont la présence en Afrique sera anéantie en 693. Même Ceuta, dernier rempart de cette puissance, avec pour représentant de l’empereur Constantin IV le patrice Julien (probablement Berbère), passa sous le contrôle du nouvel Empire Islamique. La réception cordiale et les offrandes que Julien réserva à Uqba lui permirent de conserver le commandement de Ceuta mais cette fois au nom du calife. Historiquement, il est impossible de savoir avec certitude quel fut l’itinéraire exact d’ Uqba et quelles régions du Maroc il traversa. De plus, seuls quelques édifices de cette époque sont mentionnés par les chroniqueurs.
Cependant, il est certain que l’expédition d’Uqba amorça l’appartenance du Maroc à l’Empire Islamique puisqu’il faudra environ une vingtaine d’années et trois autres campagnes pour mettre un terme, en Afrique du Nord, à l’opposition violente des tribus berbères.
En effet, ce n’est qu’à la huitième campagne (698-715), dirigée par Moussa ben Nouçaïr, que le Maroc et l’Espagne furent définitivement conquis. Au Maroc, deux expéditions suffirent pour que l’Islam soit introduit et accepté et que ce pays soit intégré à l’Empire omeyyade en 708. Certes, il y eut des résistances locales mais à aucun moment il n’y eut de soulèvement général comme en Algérie ou en Tunisie où de grandes insurrections berbères éclatèrent dont les plus violentes furent celles dirigées par Kosayla et par Kahina (guerrière berbère). Les Berbères marocains se convertirent massivement à l’Islam et un grand nombre des plus hautes responsabilités fut confié à certains d’entre eux. C’est ainsi qu’à Tanger, Tarik, berbère converti, reçut le commandement d’une importante troupe, composée de 12 000 Berbères nouvellement convertis, destinée à envahir l’Espagne. En trois ans seulement, de 711 à 715, l’Espagne wisigothe fut conquise.
Jusqu’à l’aube du VIIe siècle, le Maroc et toute l’Afrique du Nord vivaient dans le cadre du monde méditerranéen avec toutes leurs activités économiques, politiques et religieuses tournées vers la rive occidentale de la Méditerranée. Mais au VIIe siècle, le bassin méditerranéen, véritable matrice du monde antique, perd son rôle économique et politique à la suite des conquêtes de l’Empire islamique. L’Afrique du Nord et l’Espagne intégrèrent un nouveau monde religieux, social et politique s’enrichissant de nouvelles influences.
Le Maroc, univers fortement individualisé, divisé en de nombreuses tribus fières de leur autonomie, va connaître, avec l’Islam, une unité par la cohésion religieuse. La nouvelle foi ne sera jamais remise en question par les Berbères alors que celle de la présence arabe et de ses abus (principalement l’oppression fiscale) le sera à maintes reprises. Le soulèvement des Berbères, en 740, contre le pouvoir des califes d’Orient et de leurs représentants arabes installés au Maroc, provoque la rupture du Maroc avec l’Orient et cela au nom de l’Islam. Cette révolte kharijite était dirigée contre le calife. En effet, pour les kharijites, le califat devait revenir au meilleur des musulmans et ce, quelque fût son origine. Cette doctrine, venue d’Orient, fit l’objet au Maroc d’une fervente adhésion de la part des Berbères. Elle prônait l’égalité sur le plan social et la démocratie sur le plan politique et ses adeptes furent traqués par le califat omeyyade. Pour lui, cette hérésie menaçant l’essence même de son pouvoir, était inacceptable.
Née au Maroc, la révolte s’étendit à toute l’Afrique du Nord et fut bloquée à l’Est de justesse grâce à deux victoires militaires remportées par l’armée califale à proximité de Kairouan. La reconquête de cette zone occidentale de l’Empire islamique par les Omeyyades n’eut pas lieu car, en 750, les Abbassides prirent le pouvoir en Orient. Les califes abbassides tentèrent en vain de reconquérir l’Afrique du Nord mais ne parvinrent à reprendre que Kairouan et l’Ifriqiya, laissant partout ailleurs des petits royaumes kharijites. Cette situation dura jusqu’en 801 quand Haroun al-Rachid reconnut l’indépendance de fait de la région.
En rompant ses liens d’allégeance avec Bagdad au IXe siècle le Maroc, après plus de deux siècles de dépendance de Damas, sous les Omeyyades, puis de Bagdad, sous les Abbassides, met fin à l’emprise politique orientale. A partir de ce moment, le califat fut remplacé au Maroc par le sultanat, fondant ainsi l’autonomie du pays ou la Nation marocaine.
Les conséquences religieuses de la révolte kharijite furent moins durables que ses conséquences politiques puisque le retour à l’orthodoxie au Maroc s’opère lentement mais que la rupture de l’Occident musulman et en particulier du Maroc avec l’Orient est définitive sauf pour l’Algérie et la Tunisie qui, à partir de la conquête ottomane du XVIe siècle, seront de nouveau englobées dans le monde oriental.
Anéantissant la domination politique orientale par le kharijisme, les Berbères du Maroc, paradoxalement, accueillirent allégrement les Arabes se réclamant d’auguste naissance qui se présentaient comme chefs religieux, allant parfois jusqu’à faire d’eux des fondateurs de petits royaumes.
C’est dans ce contexte qu’Idriss Ier, descendant d’Ali par Hassan et fuyant l’Arabie, arrive dans la région de Tanger. Son départ précipité d’Arabie était étroitement lié au fait qu’il était l’ennemi mortel des Abbassides contre lesquels il avait combattu et perdu en 786 à la bataille de Fakh près de la Mecque.